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13 septembre 2013 5 13 /09 /septembre /2013 20:45

 

Je suis en salle de réveil, parfaitement éveillé, comme probablement rarement on l'est en cet endroit du moins quand on est du mauvais coté du stéthoscope.

 

A quelques mètres de moi, des étudiants bavardent comme tous les étudiants en médecine du monde : untel est « de retour sur le marché, » X « regarde le menu alors qu'il est au régime »... Et puis sans que je m'en aperçoive, l'ambiance change du tout au tout.

 

Un étudiant se met à parler. Il détaille l'historique du patient allongé à coté de moi à quelques mètres de distance. Je redresse la tête pour voir ce qui se passe. Ils sont environ une douzaine, regroupés au pied du lit. Ils forment un cercle au milieu duquel se trouve un docteur sénior, probablement le chef de service. C'est une femme, elle est la seule assise. L'étudiant passe en revu tout le dossier. Je ne peux le voir, il est masqué par le paravent qui sépare les deux lits. Il parle de mémoire, visiblement sans note. Le débit est rapide mais parfaitement distinct. Le vocabulaire est précis, technique, totalement abscons pour le profane hormis les éléments de contexte. Le docteur sénior l'interrompt de temps en temps, doucement sans aucune trace de reproche ou de conflit. Elle questionne la pertinence de telle information, vérifie qu'un terme employé l'est à bon escient, demande des précisions sur une donnée... Tous autour écoutent attentivement, participent éventuellement quand une question ouverte mérite débat. On pourrait presque voir le savoir se construire à ce moment là dans ce petit groupe et s'incruster définitivement dans les esprits des participants tant la qualité de l'attention est grande. Le respect pour le docteur sénior est profond, palpable. Son emprise n'est pas basée sur une quelconque démonstration de ses connaissances ou sur un comportement autoritaire mais uniquement sur la qualité et la pertinence de ses questions, sur sa façon d'obtenir sans y paraître le meilleur de chacun.

 

Le cas est grave, aussi grave qu'il est possible en réanimation dans un grand hôpital parisien, probablement plus encore.... La discussion s'attarde deux minutes sur les procédures légales... Le ton est grave, la tension palpable.

 

Puis la question de l'accueil de la famille est abordée. L'ambiance s’alourdit encore si s'était possible. Le patient est jeune, étranger. La famille a été contactée et doit arriver prochainement. Il faut l'accueillir. Il faut parler anglais. Les étudiants rivalisent d'argument sur leur piètre niveau. Le médecin sénior aperçoit ma tête redressée et les interpelle en me regardant :

  • Regardez, il y a le patient qui se fout de votre gueule parce que vous êtes tous des quiches en anglais... Et vous, Monsieur, vous parlez anglais ?

  • Ça va, je me débrouille.

  • Moi aussi, je me débrouille.

 

Ces quelques paroles clôturent la séance sur une note plus légère. L'assemblée se disperse, chacun retournant calmement vaquer à ses occupations. Le médecin sénior vient s'assurer que tout va bien pour moi et me faire tranquillement la leçon sur le fait qu'il ne faut pas que je redresse la tête...

 

Chapeau bas, Madame, la démonstration était impressionnante.

 

 

 

Quelques minutes plus tard, le personnel réarrange le paravent pour permettre la visite de deux jeunes-filles proche du patient. Je ne les vois pas, je ne les entends pas mais quand on me transfère peu après, j'ai tout juste le temps d'apercevoir le visage de l'une des deux jeunes-fille. Il est tout près du corps du malade, peut-être qu'il le touche. Le visage est tourné vers moi. Le regard est ailleurs. Son expression rayonne d'espoir...

 

Pauvre petite...

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